samedi 24 août 2013

La roue de l'oubli

Sa besogne terminée, Justinien B se retira du teckel et partit se rhabiller. Puis il s'alluma une Marlboro dont il grilla les deux tiers en une bouffée. Il empocha le billet de 50 euros que lui tendait dédaigneusement Abdelkrim Wagner Pompadourian-Rosenfeld, le réalisateur du film "Rififi dans la basse-cour", et quitta le terrain vague en boitant (ce n'était pas tant son pied bot qui lui allourdissait la démarche en cette belle matinée printanière que la scène avec le cheval qui avait laissé quelques traces).

En achetant son second paquet de clopes de la journée, Justinien se laissa aller à une certaine mélancolie teintée de désenchantement : quel était le point à partir duquel sa vie avait commencé à sérieusement partir en saucisse ?
Etait-ce quand il avait avalé son premier buvard d'acide à l'âge de 7 ans ? Ou à 6 ans, le jour où il s'était amusé à jeter des parpaings depuis un pont de l'autoroute A86 sur les voitures qui passaient en contrebas ? Ou bien la fois où il avait mis un furet dans la culotte de la petite Amandine, sa voisine à l'école maternelle ? Le jour où il avait fait cuire le chat vivant au four micro-ondes ?
Justinien ne savait pas bien... Les souvenirs d'événements embarrassants se téléscopaient dans son esprit...
Et pourtant, il savait qu'au fond de lui, il était un homme bon. Il en était persuadé. Il n'en était pas possible autrement puisque sa mère adorée lui avait prodigué une éducation religieuse hautement éclairée qui lui avait permis de garder un coeur pur, en ligne avec les valeurs de vertu et de sacrifice incarnées par sa famille.
Il ne devait pas se laisser déstabiliser par ces pensées coupables : son âme était celle d'un juste, et ce n'était pas les petits vices minimes auquel il avait la faiblesse de s'adonner de temps à autre qui allaient lui prohiber l'entrée du paradis le jour où son heure viendrait.

Justinien passa à la boulangerie pour acheter une baguette de pain, puis il entra comme tous les matins au café le Lutecia. Il salua René, le patron de l'établissement, et se rendit directement dans les toilettes, le coeur battant.
Il était bien là, au fond de l'urinoir... Le gros crouton de pain qu'il y avait laissé la veille, désormais totalement imbibé d'un salmigondis hétérogène de liquide jaune foncé tirant sur l'orange et le marron clair par endroits.
Justinien avait pris l'une des meilleures décisions de sa vie le jour où il avait rejoint un collectif de soupeurs, ces gourmets incompris qui trouvent leur bonheur dans un bon bout de pain imprégné d'une fricassée d'urine d'inconnus. Quel régal pour les papilles, quel extase gustative ! Le meilleur, c'était lorsqu'on avait la chance de tomber sur un morceau, ou sur une huitre, comme on disait dans le jargon des soupeurs avertis.
Justinien s'empara du divin croûtenard, le débarrassa du bout de chewing gum qui y avait élu domicile, et le plaqua délicatement sur son bec de lièvre pour en siroter l'exquis substrat. Il y trouva des arômes de moutarde à l'ancienne, de tripes à la mode de Caen, de bière (un classique) et peut-être un petit soupçon de Roquefort un peu passé. Un excellent cru en somme, que cette récolte du jour.
Une fois son petit déjeuner avalé, Justinien déposa consciencieusement dans l'urinoir un bon quart de la baguette de pain dont il venait de faire l'acquisition en pensant d'ores et déjà au gueuleton du lendemain dont la simple idée le faisait saliver. Puis il scotcha un billet de dix euros sous l'urinoir : moyennant ce pot de vin quotidien, Marie-Antoinette, la femme de ménage du Lutecia, acceptait de garder le silence et de ne pas nettoyer l'avant dernier urinoir de la rangée, celui sur lequel Justinien avait jeté son dévolu.

Accoudé au comptoir du Lutecia, Justinien commanda trois Martini-Jagermeister-Absinthe on the rocks pour faire passer l'arrière-goût un peu rance que ne manquaient pas de lui laisser les mouillettes.
René -que l'on pourrait décrire comme ressemblant comme deux gouttes d'eau à un patron de bar PMU nommé René- était visiblement en mal de compagnie et en profita donc pour amorcer la discussion avec son client : "Au moins, Jean-Luc Mélanchon, lui, a le courage de poser les vraies questions et n'hésite pas à s'en prendre aux puissants et aux médias [...] les jeanfoutres du gouvernement actuel ont indéniablement des couilles au cul. C'est juste dommage que ce soient pas les leurs [...] quant au Maréchal, on peut dire ce qu'on voudra de lui, mais il n'aurait jamais baissé son froc et laissé un tel foutoir s'installer dans le pays [...] Hitler était un beau salaud, c'est sûr, on ne m'entendra pas dire le contraire, mais d'après de nombreuses sources, Goering était un type vraiment bien..."
Justinien acquiescait vaguement sans prêter attention à ce que racontait René. Il était encore une fois rattrappé par un sentiment de culpabilité diffuse : oui, je suis un soupeur, pensa-t-il, et alors ? On a tous ses petites faiblesses, que je sache ! De toute façon nous sommes tous des pécheurs et pour cela je me repens : le Tout-Puissant reconnaitra les siens !

10h25 : il était presque l'heure de l'office matinal à l'église Sainte-Croix : il ne fallait pas tarder. Justinien fit un saut chez lui pour se changer et en profita pour s'injecter une dose de speed en intraveineuse, histoire d'égayer un peu sa matinée. Voila qui remontait le moral ! Puis, il mit les écouteurs de son iPod qui ne tardèrent pas à retentir du son entrainant de ses chants grégoriens préférés. Tout en chantant de sa voix de faucet, il se mit en route pour l'église d'un pas enthousiaste, quoiqu'un peu alourdi par sa patte folle et la douleur persistante qu'il ressentait toujours au niveau du fondement.
A son arrivée, une quinzaine de fidèles attendaient déjà dans la nef le début de la messe. Moyenne d'âge 85 ans à vue de doigt mouillé. Et encore, heureusement qu'Ernest "Siegried" Ricard était là pour faire baisser la moyenne : Ernest, grand costaud au crâne rasé et au blouson de la Wehrmacht décoré de divers ornements en fer, malgré ses airs un peu frustes, était quand même un type sympa quand on le connaissait, tenta de se convaincre Justinien.
Il alla saluer chaleureusement tout ce petit monde et -alors qu'il atteignait le pic de son rush de méthamphétamine- prit place derrière l'autel tel Mick Jagger faisant son entrée au Madison Square Garden (ou tout du moins, telle était l'image qui vint à l'esprit de Justinien).
Ce jour-là, le père Justinien B fit son sermon sur le grand effondrement des valeurs qui menaçait de mettre la société à genoux. L'institution sacrée du mariage était bafouée par les forces obscures de la pédérastie et de la tantouzification, sans parler d'internet, ce repaire grouillant de pédophiles, de coprophages dégénérés et de joueurs de jeux vidéos ! Partout la perversion gagnait du terrain et les anges du Jugement Dernier faisaient retentir leurs puissantes trompettes ! Il était temps d'implorer le pardon du Seigneur et de lui confier le salut de son âme avant que ne résonnent les lourds sabots des terribles montures des Quatre Cavaliers de l'Apocalypse !
A l'issue de l'office, Modeste N'Philémon, le séminariste Camerounais de l'Eglise Sainte-Croix que le bon Dieu avait malheureusement doté d'une taille en rapport avec son prénom -1m12-, vint féliciter le père Justinien pour l'éloquence de son sermon. Justinien remercia son fidèle bras droit, qualificatif qui allait d'ailleurs fort bien à Modeste, que Justinien avait surnommé le trépied de Douala pour des raisons peu avouables mais qui pour le coup ne cadraient plus vraiment avec le prénom du jeune homme.
Vint alors l'heure d'entrevoir les deux fidèles qui étaient restés pour se confesser. Au cours de la confession de Gertrude Conrèche qui dura 45 minutes et fut pour l'essentiel centrée autour de l'histoire d'un petit lapin oublié dans une Citroën Traction Avant du temps où la vieille dame était adolescente, Justinien sentit que les effets de la drogue étaient en train de le lâcher. Vite : un petit rail de coke dans le confessionnal, et ça repart comme papa dans la bonne ! Pardonnée la Gertrude ! Suivant !
C'était Ernest, le skin-head préféré de Justinien. Il avait un air préoccupé... Il avait... Jeté... Un "rastacouère" (sic) dans la Seine ? Hum, ah oui quand même... Ah mais c'est pas bien ça Ernest : que le bon Dieu ne t'y prenne plus ! Bon, pardonné quand même, mais c'est la dernière fois, ok ?
Une fois les confessions terminées, Justinien prit congé des fidèles, fit un énorme bisou à Modeste, troqua son col romain pour une chemise à carreaux et quitta l'église.
Alors qu'il commandait un kebab frites au Turc du coin, il fut encore une fois rattrappé par ses réflexions tourmentées. Comment pouvait-il se permettre de consommer de la drogue dans la maison du Seigneur pendant la confession de ses fils et filles ? Et cette liaison impie qu'il entretenait avec son petit séminariste, comment pouvait-il la justifier alors que dans le même temps il vouait aux gémonies dans ses sermons tout ce qui touchait de près ou de loin à ce que son défunt grand-père avait coutume d'appeler le club du médaillon en donut ? Et qui était-il pour accorder l'absolution à ce connard d'Ernest ?
Non, non... Il était un homme bien... Rien ne pourrait changer cela...
Vite : il fallait qu'il expie ses fautes...

Un quart d'heure plus tard, il parvint à l'entrée du squat où maitresse Jean-Jacques dispensait ses bons offices.
La dominatrice préférée de Justinien avec sa longue crinière blonde, coiffée d'une casquette en cuir d'officier SS et vêtue d'une combinaison de latex et de talons aiguilles, vint lui ouvrir la porte : elle avait vraiment fière allure, songea Justinien en lorgnant la pomme d'Adam saillante et les bras de déménageur de l'être presque androgyne qui se tenait face à lui. Le prêtre ressentit un frisson d'excitation en pensant à la raclée bien méritée qu'il allait se prendre...
Ils arrivèrent dans la salle de torture du donjon, au frontispice de laquelle était accroché un portrait de la maitresse des lieux en costume de Xena la guerrière, ouvrage d'un gout discutable mais indéniablement avant-gardiste qui arborait la célèbre devise de l'établissement en lettres gothiques calligraphiées : "Y a pas de mal à se faire du bien en se faisant du mal".
D'une voix enthousiaste, Justinien félicita Jean-Jacques pour ses nouveaux implants mammaires cloutés : du vrai travail de pro, s'exclama-t-il.
-Ta gueule ! Rétorqua la dominatrice en collant un uppercut si appuyé dans la mâchoire de Justinien qu'il perdit connaissance instantanément et s'éclata la tête par terre.
Lorsqu'il revint à lui quelques minutes plus tard, Justinien était allongé et ligoté pieds nus sur une chaise longue en fer rouillé au confort sommaire. Bien qu'il eût un sacré mal de crâne, il constata avec satisfaction que Maitresse Jean-Jacques avait profité de son inconscience pour le revêtir d'une combinaison de contention en skai rose bonbon. La dominatrice avait pris soin d'accomoder dans sa bouche une pomme retenue par un élastique. Quant à ses yeux, ils étaient entourés d'un savant système de taquets métalliques qui empêchait Justinien de fermer les paupières.
La dominatrice était désormais affairée à tartiner un liquide gluant sur la plante de ses pieds nus. Ca sentait le miel, remarqua-t-il. Etrange...
Il comprit lorsque Jean-Jacques actionna un levier et que s'ouvrit une trappe par laquelle s'engouffra une chèvre à la longue barbichette. Oh non, pas les chatouilles, pensa-t-il tout excité.
Tenant l'animal en laisse, Maitresse Jean-Jacques mit en marche le système hi-fi qui allait jouer en fond sonore la chanson "Je t'aime" de Lara Fabian en boucle au cours des cinq heures de tourments qui suivraient. Puis elle alluma la télévision en face de Justinien et inséra dans le lecteur DVD l'intégrale des interventions de Jean-François Copé à l'Assemblée Nationale. Après quoi, elle lacha l'animal qui se précipita la langue la première sur les pieds de Justinien et se mit à les lécher goulument sans interruption.
Pour la route, Maitresse Jean-Jacques mit un coup de pied retourné dans la face de Justinien, avant de quitter la pièce en laissant sa victime sanguinolente en proie à ses tourments. Là-dessus, elle partit se consacrer à la rédaction de sa thèse de doctorat sur la symbolique héraldique des graphèmes atypiques du Guangxi méridional post dynastie Liao.

Lorsque Justinien fut enfin libéré du donjon, il avait l'impression d'être dans la peau du personnage de Jack Nicholson à la fin de Vol au dessus d'un nid de coucous et de s'être fait passer dessus par une charge de cavalerie lourde mais au moins il se sentait lavé de ses péchés de la journée. Plus que jamais, il sentait qu'il était un juste parmi les justes.
Il était temps pour lui de passer dire bonjour à sa mère.

Christine Boutin était au milieu de sa septième prière de la journée lorsque retentit la sonnette. C'était Justinien, son fils préféré !
Justinien n'était pas seulement un fils pour elle : c'était aussi un petit-fils, de par les merveilleux aléas de la filiation, thème au sujet duquel les Boutin étaient relativement ouverts d'esprit, tant que l'union se déroulait dans le cadre des liens sacrés du mariage.
Elle accueillit son fils petit-fils descendant à bras ouverts et lui proposa une ostie qu'il accepta avec un sourire lumineux auquel il manquait quand-même deux dents.
Lorsqu'elle s'inquiéta de le voir dans un si piteux état, il rétorqua que le match de rugby inter-paroisses de l'après-midi avait été assez physique en mêlée, ce qui expliquait les quelques petites, hum, égratignures de son visage. Justinien cracha discrètement une troisième dent qu'il venait d'achever en croquant l'ostie.
Puis Christine lui demanda comment s'était déroulée le reste de sa journée. Une ribambelle d'images bigarrées traversa l'esprit de Justinien qui finit par s'entendre répondre : "Fort bien, mère. Je crois que nos frères et soeurs ont apprécié mon sermon de ce matin."
-Très bien Justinien, maman est fière de toi ! A propos, avant que j'oublie, pourrais-tu apporter son diner à Junior ?
Justinien détestait quand sa mère l'envoyait apporter son repas à Junior, à fortiori quand il était en pleine montée de méphédrone.
-Heu, j'ai un léger mal de tête... Jean-Domingue ne peut pas y aller ?
-Non mon trésor : il est parti avec Eudes-Preux ratonner du pédé à la sortie du Banana Café. Haha, sacré Jean-Domingue : c'est bien le fils tout craché de son tonton, tiens.
Justinien partit chercher à contrecoeur dans la cuisine deux kilos de viande de boeuf crue Leader Price, la préférée de Junior.
Il pestait intérieurement contre Marie-Immaculée, soeur-cousine de Christine et génitrice de Junior, qui était malheureusement si déjantée de naissance qu'elle vivait enchainée dans le grenier de la propriété familiale depuis qu'elle avait neuf ans. Elle était par conséquent incapable de s'occuper sérieusement de l'homoncule qu'elle avait enfantée, même si elle aimait bien parfois jouer à la poupée avec lui... Mais dès qu'il s'agissait de nourrir Quasimodo ou de changer ses couches XXXL, y avait plus personne, bordel à queues ! Justinien s'en voulut instantanément de ses pensées peu chrétiennes : il était un homme bien, se répéta-t-il. Un homme bien, pour sûr...

Il descendit à la crypte du manoir dans laquelle régnait une odeur de renfermé et de charogne que ne parvenait pas vraiment à effacer la fumée que diffusaient en continu une bonne trentaine d'encensoirs médiévaux. Slalomant entre les croix et les statues de mater dolorosa, Justinien s'approcha à pas de loup du berceau blindé de Junior et, en prenant bien soin de ne pas laisser trainer ses doigts trop près de la cage, balança la côte de boeuf par dessus les barreaux de 2m10. Instantanément, la crypte fut emplie de bruits de bêtes fauves à l'heure de la pitance. Puis, trente secondes plus tard, Junior fit son rot (qui fit penser à Justinien au mélange entre le cri de Chewbacca et la voix du chanteur du groupe Rammstein). Alors, tout redevint calme.
Justinien alluma la télévision accrochée en face du berceau de Junior et lui mit un DVD de Joséphine Ange-Gardien, son émission favorite...

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Laurent Houtand, qui exerçait pour le compte du Dr F le travail de ghost-writer (il rechignait à employer l'équivalent de ce mot en français car il était fan de Martin Luther King) arracha de son calepin la feuille de papier qu'il venait de remplir recto-verso, la chiffonna rageusement et la jeta en direction de la corbeille à papier, qu'il rata pour un demi centimètre.
Non, il ne pouvait pas écrire ça. Il ne pouvait pas se permettre d'exposer au grand jour les sales petits secrets de la famille B... Tous ceux qui s'étaient aventurés dans cette direction avaient connu un funeste destin... Et même si l'article était publié sous le nom de l'éminent Dr F, ils remonteraient jusqu'à lui... Ils le retrouveraient... Et ce jour-là, il serait en grand danger.
Qu'adviendrait-il de Pierrick, son hamster angora, si jamais il lui arrivait quelque chose ? Qui s'occuperait de la pauvre petite bête, pensa-t-il la larme à l'oeil ?
Mieux valait qu'il écrive un article sur les modalités de transhumance des gnous au Mozambique, son principal domaine de compétence. Le Dr F ne manquerait pas de gueuler mais il valait mieux ça plutôt que de se retrouver confronté au courroux de la terrible famille B.
Dehors, un rayon de soleil bienvenu pointait le bout de son nez. Le moment parfait pour une petite promenade de détente, pensa Houtand.

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L'archange Michel se matérialisa en un milliardième de seconde dans le vestibule du bâtiment et sans perdre un tempo, décapita Laurent Houtand d'un fluide coup d'épée à deux mains. Temporairement inconscient de la petite déconvenue qui venait de lui arriver, l'homme continua son chemin sur quelques mètres, puis, alors qu'il se penchait légèrement pour sortir ses clés de sa poche, sa tête se détacha net de son cou, mettant ainsi un terme à ses pérégrinations.
Tout en nettoyant tant bien que mal le merdier sanguinolent qu'il avait laissé, l'archange ne pouvait s'empêcher de penser qu'il se serait délecté de pouvoir réserver le même sort au sulfureux Dr F, commanditaire de Laurent Houtand. Malheureusement, pour des raisons incompréhensibles, il lui avait été formellement interdit de s'en prendre à lui... Un autre archange avait sorti à Michel une histoire à dormir debout... Un blabla à la con en rapport avec les paradoxes temporels et les ruptures de continuum espace-temps qu'on risquait de créer si le Dr F venait à être éliminé, mon cul sur la commode. Il n'avait rien compris mais l'ordre venait soi-disant de tout là-haut, donc pas de discussion possible.
Michel avait rétorqué qu'on s'en tamponnait la nouille des paradoxes temporels, puisque ce foutu Dr F s'évertuait à exposer au grand jour les us et coutumes -certes contestables- des membres de la famille B, de loin les meilleurs porte-paroles de la chrétienté en France. Alors OK, on pouvait imaginer mieux comme représentants de la foi divine mais malheureusement, c'est pas tous les jours qu'on tombait sur un Saint-Augustin ou un Abbé Pierre... Par les temps qui couraient, il fallait faire avec les moyens du bord, racler les fonds de tiroirs et se contenter de ce qu'on avait sous la main. Si on laissait tomber les rares défenseurs de la chrétienté qui restaient en place, faudrait pas venir pleurnicher le jour où on verrait Tariq Ramadan président de la République décrétant la Sharia en égorgeant un agneau sur le balcon de l'Elysée pendant que le pape défilerait en cosplay de princesse Leia en compagnie de Lady Gaga sur le char d'ouverture de la gay pride avec Skrillex en fond sonore, putain de bordel, pesta intérieurement l'archange en jetant la tête de l'infortuné Houtand dans le vide-ordures.

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EPILOGUE
Non loin de là, Pierrick le hamster sortit de son petit lit de paille pour faire des tours de roue. Lorsqu'il en eut marre, il grignota quelques graines, puis sortit de sa cage, que la créature géante bipède qui venait de temps en temps remplir sa gamelle avait pour habitude de laisser entrouverte.
Comme Pierrick avait une mémoire fonctionnelle d'environ huit secondes, il ne se passa guère de temps avant qu'il n'ait totalement oublié le motif de son escapade. "Mais où suis-je", s'interrogea le petit rongeur, soudain préoccupé, avant de repartir le coeur léger huit secondes plus tard.
Il se trouvait à côté d'une grande armature en fer, un peu comme sa cage, mais cylindrique, percée en son sommet, et remplie de boulettes de papier.
L'une des boulettes de papier était curieusement posée à côté de la structure métallique et instinctivement, Pierrick la prit entre ses mâchoires.
Soudain, un faisceau de lumière blanche et pure apparut et éclaira Pierrick. Une voix forte et autoritaire résonna dans son cerveau miniature et instantanément tout s'éclaira pour lui. Il avait été élu pour une mission divine extrêmement importante : ramener cette boulette de papier à la source de la Voix qui résonnait en lui... Il serait le premier animal de l'histoire à endosser de telles responsabilités... Il entrerait dans l'histoire pour toujours... Les saints chanteraient son nom... Il n'avait pas de temps à perdre : son destin, incroyablement périlleux, mais aussi pavé de gloire, l'attendait. Solennellement, il se mit en route pour sa mission sacrée.
Puis il l'oublia et partit faire quelques tours de roue.

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